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mon adolescence, je me passionne pour le jardinage, passion que m'ont
transmise ma mère et ma grand-mère. Tout comme elles, j'y retrouve
la plus grande satisfaction d'assister au miracle de la transformation
de petites graines en beaux légumes frais. J'ai appris beaucoup de
ces deux femmes, surtout le respect et l'amour de la terre et des
choses simples, mais essentielles. Cet amour et ce respect, je les
porte toujours en moi alors que je continue d'approfondir ma passion
pour le jardinage.
Tout naturellement, ma grand-mère
avait compris le processus du recyclage des nutriments. Pour elle,
tout était réutilisable ou source de compost. C'était une
jardinière biologique par la force des choses. Comme elle, le
jardinage est pour moi aussi nécessairement biologique, parce que
cette forme d'agriculture renferme les valeurs qu'elle et ma mère
m'ont transmises. Depuis une douzaine d'années donc, mes légumes
sont poussés sans l'utilisation d'aucun engrais ou pesticide de
synthèse. Je retrouve la plus grande satisfaction à nourrir ma
famille et moi-même de produits sains qui ont laissé le moins
d'impact possible dans mon environnement.
Récemment, j'ai poussé l'aventure bio
un peu plus loin et je cultive présentement une acre et demie de
jardin de manière à pouvoir fournir des légumes frais aux marchés
locaux de Dieppe et de Bouctouche. Notre petite ferme familiale est
certifiée biologique. Cela nous permet d'identifier clairement à nos
clients que nos légumes sont cultivés selon les normes canadiennes
relatives aux produits biologiques et aussi d'exprimer les valeurs de
respect et de prudence avec lesquelles nous cultivons.

De juin à
septembre, Gilles vend ses légumes bio aux marchés de Dieppe et de
Bouctouche.
(Photo : Gilles Martin)
Ces dernières années, les démarches,
discussions, lectures et rencontres qui ont mené à notre
certification bio m'ont permis de réaliser la profondeur du concept
biologique et à quel point ce type d'agriculture est plus que
simplement cultiver sans produits chimiques.
À la base, la culture biologique est
une agriculture qui perçoit le sol comme une matrice de toutes sortes
de vie composée de milliers, voir de millions d'organismes vivants
essentiels au recyclage des nutriments. Il faut donc voir à
travailler avec cette matrice, à la stimuler et à éviter toute
activité qui pourrait lui être nuisible. C'est ainsi que les
biocides, pesticides, herbicides et autres produits de synthèse qui
détruisent des organismes vivants sont proscrits. Ces substances en
plus de risquer de se retrouver dans et sol et les aliments,
pourraient affecter la flore microbienne et les insectes essentiels à
nos cultures. Les composts sont la clé de la fertilité en jardinage
biologique, fournissant la matière organique qui nourrira les
microorganismes du sol. Aussi, des cultures vertes appelées "engrais
verts" sont utilisées périodiquement pour enrichir le sol. Afin
de gérer les mauvaises herbes et certains insectes nuisibles à
certaines cultures, l'agriculture biologique doit recourir à d'autres
méthodes que celles issues de l'agriculture conventionnelle,
dépendante des produits chimiques. Souvent ces méthodes sont
mécaniques ou même manuelles, ce qui représente un coût
supplémentaire pour le producteur bio. Mais, de plus en plus, la
nécessité étant la mère des inventions, des produits non
synthétiques de nature biologique sont à la disposition du
producteur biologique. L'agriculture biologique joue donc de cette
façon un rôle de transformation qui a des impacts positifs dans
l'agriculture traditionnelle.
Mais l'agriculture bio va plus loin
encore. Elle met l'emphase sur le maintien ou même l'augmentation de
la biodiversité des sites agricoles par la promotion de bandes de
végétation et de région maintenues à l'état sauvage. La rotation
des cultures est aussi un élément important dans le bio étant
donné la non-utilisation d'insecticides de synthèse. Ainsi les
champs vont alterner entre les cultures de légumes ou céréales, les
engrais verts, le pâturage et les jachères courtes pour éliminer
naturellement les mauvaises herbes. Bien sûr, les cultures bio sont
influencées par les activités qui ont lieu dans les environs. C'est
pour cette raison que des bandes tampons doivent être respectées
entre les cultures et les activités avoisinantes susceptibles de les
influencer.

Gilles
Martin est un chercheur en environnement et jardinier biologique avec
sa famille sur sa ferme de Richibouctou-Village.
(Photo : Gilles Martin)
Étant donné toutes ces pratiques,
l'agriculture biologique représente à mon avis une alternative
beaucoup plus durable que l'agriculture conventionnelle dépendante de
l'industrie agrochimique. Je demeure profondément convaincu qu'il est
possible de se nourrir sans s'empoisonner soi-même ou en empoisonnant
notre milieu de vie. L'augmentation fulgurante de la consommation des
produits biologiques ces dernières années d'abord en Europe puis
maintenant en Amérique semble appuyer ces dires.
Mais l'agriculture biologique a
également plusieurs défis à relever. Alors qu'à l'origine,
l'appellation biologique était presque exclusivement réservée à
des petits producteurs qui vendaient localement, aujourd'hui de
grandes fermes biologiques font leur apparition. Le côté local et
équitable de la production n'est pas nécessairement compris dans
l'étiquette biologique, d'où l'importance pour le consommateur
d'acheter bio mais aussi local. Les coûts économiques et
environnementaux associés au transport de produits qui nous arrivent
de Chine ou d'ailleurs ne sont pas toujours reflétés dans le prix,
d'où l'importance de voir à l'origine de ce que nous consommons,
encore plus dans le contexte du changement climatique, associé
surtout à notre grande utilisation de carburants fossiles.
Également, le petit fermier bio lutte
encore pour sa survie dans un monde où plusieurs consommateurs
veulent un produit le moins cher possible. Étant donné les pratiques
et efforts nécessaires en bio, il demeure difficile voir impossible
pour un producteur bio d'offrir ses produits au même prix que le
producteur conventionnel. C'est donc dans la mesure où les gens
seront sensibilisés aux impacts de l'agriculture sur l'environnement
et la santé humaine et aux avantages qu'offre en ce sens le
biologique, que nous verrons de plus en plus de consommateur faire le
choix bio.
Pour ma part, je retiens les leçons
apprises de ma grand-mère et de ma mère et je demeure un jardinier
bio convaincu. Je cultiverai biologique ou ne cultiverai pas du tout.
Pour moi il en va de la santé des miens, de ma communauté et celle
de ce milieu naturel qui soutien la vie.